Citation

"Grâce à la liberté dans les communications, des groupes d’hommes de même nature pourront se réunir et fonder des communautés. Les nations seront dépassées" - Friedrich Nietzsche (Fragments posthumes XIII-883)

09 - MAI et OCT / 10 - OCT - G. Moréas



Maddie : l’inspecteur raconte l’enquête

Georges Moréas - 06.05.2009









La télévision montre Gérald McCann qui descend de l’avion en portant son fils. L’enfant a la tête contre son épaule gauche, ses bras pendent le long de son corps (…) En Irlande, les Smith regardent le journal télévisé (…) Pour eux, c’est le choc (…) Il s’agit de l’homme aperçu le 3 mai à 22 heures, avec une petite fille profondément endormie dans les bras. »
Quatre mois plus tôt, les Smith étaient en vacances en Algarve, au sud du Portugal. C’est une famille nombreuse, en tout quatre adultes et cinq enfants. Ce soir-là, ce soir du 3 mai 2007, ils regagnent à pied leur appartement lorsqu’ils croisent un homme qui porte un enfant dans ses bras. Ils n’ont pu distinguer son visage, mais c’était une petite fille. Et elle était vêtue d’un pyjama clair, elle avait les pieds nus, et elle avait des cheveux blonds – comme Madeleine McCann, cette petite anglaise disparue alors qu’elle dormait dans sa chambre. Maddie, dont la photo a fait le tour de monde et qu’on n’a jamais retrouvée (ici).

L’inspecteur de la police judiciaire portugaise, Gonçalo Amaral, nous fait revivre son enquête, minute par minute, dans un livre qui vient d’être traduit en français Maddie, l’enquête interdite, chez Bourin Editeur.
D’un ton qu’il voudrait neutre, mais qui ne l’est pas, tant cette histoire l’a marqué, il nous livre le détail de ses investigations. Il nous énumère les différentes pistes qu’il a suivies, certaines farfelues, et d’autres, plus sérieuses, comme la piste polonaise qui n’a jamais vraiment été élucidée. Et surtout, il met en avant les difficultés qui se sont amoncelées devant lui lorsqu’avec ses coéquipiers il a envisagé la responsabilité, voire la culpabilité, des parents de la fillette. Et notamment les pressions politiques de la part de la Grande-Bretagne. Au point que certains enquêteurs ont imaginé que la signature prochaine du traité de Lisbonne (déc. 2007) pouvait influencer l’enquête sur la disparition d’une enfant d’à peine quatre ans…
Les pressions ont été plus imaginaires que réelles. C'est probablement le complexe d'infériorité qui a fonctionné et les a suscitées.


Dans cette affaire, Amaral a échoué. Il reconnaît certains manquements : on aurait dû… etc. Mais il a surtout l’impression qu’on l’a empêché d’aller jusqu’au bout. Et sa hiérarchie a profité d’une réponse maladroite à un journaliste pour le limoger. 
Il est plus confortable d'imaginer qu'on vous a mis des bâtons dans les roues plutôt que d'affronter la réalité de ce qu'on a fait. Mais les victimes sont à la mode.
À la lecture de ce récit, qui pourrait se lire comme un polar si les faits n’étaient pas réels, personnellement, j’ai eu l’impression que les policiers portugais, à tous les étages, ont trop tenu compte de la personnalité et de la nationalité des parents, des amis, des témoins…

Autrement dit, ils ont pris des gants ! Ainsi, pour recouper les témoignages, une reconstitution s’imposait. Elle n’a jamais eu lieu. Parmi les raisons invoquées : « les gens pourraient croire que les parents et les amis sont suspects ». Dans les premières heures, les premiers jours, les enquêteurs n’ont suivi qu’une seule piste, celle de l’enlèvement. Chez nous, on ne fait pas toujours mieux. On se souvient de la disparition du petit Antoine, à Issoire, en septembre 2008, et du lynchage de sa mère et son compagnon… Ou, pour coller à l’actualité du procès AZF, du procureur de Toulouse qui d’entrée de jeu a bloqué l’enquête en claironnant qu’il s’agissait d’un accident à 90 %. Ou encore de l’arrestation prématurée de Jacques Viguier, après la disparition de son épouse, par un commissaire qui a voulu à tout prix faire coïncider les faits avec son intuition.
La liste est longue. Or dans une affaire criminelle, on commence par faire un champ large avant de zoomer, et l’on met dans sa poche ses petites idées de grand flic.


livre-maddie.1241539722.jpgJeudi prochain, le 7 mai, à 14 heures, Jacques Pradel recevra Gonçalo Amaral dans son émission Café crimes, sur Europe1.
Dans cette affaire, l’inspecteur a acquis au moins une certitude : la petite Madeleine McCann « est décédée dans l’appartement où la famille passait ses vacances ».
Et comme je participerai à cette émission, je lui demanderai pourquoi !







Georges Moréas - 24.10.2009


Au moment où l’on nous dit que l’enquête sur la mort du petit Grégory pourrait bien sortir du placard, au fin fond de la péninsule ibérique, le commissaire Amaral voit la porte (du placard) se refermer sur lui. Quel rapport me direz-vous entre ces deux affaires si ce n’est que la victime est un enfant ? Essentiel : un ratage dès le départ. Pour la disparition de la petite Maddie, au bout de quelques semaines, le directeur d’enquête a été écarté : il devenait embarrassant. 
Au bout de 5 mois.
Et aujourd’hui, il a bien des soucis. Il s’est confronté à trop fort pour lui, le petit flic portugais, et le voilà sur la paille. Les ténors du barreau le traînent en justice.
"Ténor du barreau", c'est vite dit.
Il doit faire front. Car les parents de Madeleine McCann n’ont pas accepté la thèse de son livre : mort accidentelle de l’enfant et dissimulation de son corps pour faire croire à un enlèvement. Ce qu’on peut d’ailleurs comprendre, même si les arguments de l’enquêteur tiennent solidement la route.



Comme ils l’ont fait antérieurement pour plusieurs journaux britanniques, ils exigent une réparation qui donne le tournis : 1.25 million de dommages et intérêts. Pour se défendre, l’ancien policier a demandé à bénéficier de l’assistance judiciaire.

Il a été débouté, il n'est donc pas si pauvre que ça.

Il y a trois jours, dans un communiqué de presse, Gonçalo Amaral a dénoncé la censure dont fait l’objet son livre (un best-seller traduit en 5 langues) et l’adaptation filmée qui en a été tirée. Dans ce texte, il estime être victime d’une grave atteinte à sa liberté d’expression. Le tribunal lui interdit notamment de « citer, commenter ou analyser toute partie du livre ou de la vidéo qui défende la thèse de la mort ou de la dissimulation du corps ». Et d’après mes contacts au Portugal, beaucoup s’étonnent de voir ainsi tire-bouchonner un droit constitutionnel.



On doit rappeler ici qu’en l’absence de plainte (le mot n’est pas tout à fait conforme) des parents de la victime, l’enquête a été « archivée », et que selon la procédure portugaise, le dossier est alors devenu public.

Les MC ne se sont pas opposé à la clôture de l'enquête criminelle. Ils pouvaient demander que celle-ci fasse place à une instruction. Ils auraient probablement dû alors se plier à la réalisation d'une reconstitution, ce qu'ils ne souhaitaient évidemment pas.

Le livre d’Amaral a été retiré de la vente, et il semble (si ma traduction est bonne) que les exemplaires en langue anglaise n’ont pas eu le temps d’être diffusés.
Une traduction en anglais a été faite bénévolement à partir de la traduction en français (elle n'est donc pas fameuse), et publiée sur la Toile.
Aucun éditeur britannique n'a voulu de cette patate brûlante !
À ce jour, pourtant, il n’est pas interdit en France. En revanche, le débat qui devait se tenir mercredi 23 octobre sur la chaîne W9, dans l’émission Enquêtes criminelles, le magazine des faits divers, a été annulé sans que l’on sache pour quelle raison.



N’ayant moi-même pas les moyens de faire face à une armada d’avocats, je ne ferai pas de commentaires. Mais pour nous, Français, la démarche qui consiste à ouvrir une boutique en ligne  (The Madeleine Online Store) nous paraît un peu étrange. On imagine mal des parents faire du bizness en vendant des affiches de recherche (1.75 £ les dix), des bracelets, ou des tee-shirts à l’effigie de leur enfant disparu (7 £)… Ce n’est pas vraiment dans notre culture.

Au Royaume-Uni on préfère lever des fonds en organisant des kermesses, en faisant de gâteaux, des tombolas, etc.

Il en va sans doute différemment en Grande-Bretagne…



Pour être tout à fait sincère, autant je trouvais sympathique la réaction de l’ancien policier qui voulait claironner « sa » vérité, autant l’aspect mercantile qui a suivi me dérange.

Gonçalo Amaral n'a pas écrit son livre pour faire du fric, l'éditeur a fait un gros effort de distribution (des piles et des piles et des piles à la Fnac, par exemple) et ça a marché. Les frustrés (le cas de GA) qui reçoivent beaucoup d'argent tout d'un coup, "compensent" en achetant une belle bagnole.. GA avait surtout des ambitions politiques (locales) qui se sont effondrées. Mais ce livre était un short seller, en fait on savait tout, il n'apprenait rien ou presque. Se lit bien et vite.

Finalement, on a l’impression que tout ça c’est une affaire de fric.






Aff. Maddie : le policier retrouve la parole

Georges Moréas- 25.10.2010







À la suite des nombreuses péripéties qui ont suivi la disparition de la petite Madeleine McCann, en mai 2007, au Portugal, le directeur de l’enquête, le commissaire Gonçalo Amaral, a été prié de se taire. Et son livre, qui reprend le détail de ses investigations, a été retiré de la vente sur décision de justice. Amaral y estime que la police judiciaire a été freinée dans son enquête par le comportement des parents de la fillette. Et il émet l’hypothèse d’une mort accidentelle à la suite d’un défaut de surveillance, voire de l’utilisation abusive d’un somnifère. Les époux McCann auraient alors dissimulé le corps de leur enfant pour fuir leurs responsabilités, lançant volontairement les enquêteurs sur la piste d’un enlèvement. Sans apporter de preuves formelles, le policier tisse au fil des pages un faisceau de présomptions. Des éléments troublants.


L’arrêt tout récent de la Cour d’appel a pris le contre-pied du premier jugement. Il y est dit que « le contenu du livre ne prêtait atteinte à aucun des droits fondamentaux des McCann » et que l’interdiction dont il était frappé était une atteinte à la liberté d’expression telle qu’elle est garantie tant par la Convention européenne des droits de l’homme que par la Constitution portugaise. Et qu’il ne pouvait y avoir violation de la vie privée des McCann dans la mesure où ceux-ci avaient largement utilisé les médias et fourni des informations privées à la presse : « Ce sont eux qui, volontairement, ont décidé de limiter leur droit à une vie privée ».



Amaral a donc retrouvé le droit de s’exprimer et de se défendre. Il doit cependant faire face à deux autres procès. En effet, Il fait encore l’objet d’une action en diffamation de la part des époux McCann, lesquels lui réclame 1.25 million d’euros de dommages et intérêts, et d’une plainte pour violation du « secret de justice ».
C'est une demande de dommages et non une action en diffamation. La plainte pour violation du secret de justice n'a pas été jugée acceptable par le tribunal.

Et son livre, Maddie - l’enquête interdite, édité en France chez Bourin éditeur, va retrouver sa place dans les rayons des librairies. De même, la censure qui touchait le documentaire tiré de cette affaire est levée. Il pourrait d’ailleurs être diffusé sur une chaîne française.


En attendant, on ne sait toujours pas ce qui est arrivé à la petite Maddie. Récemment, un Anglais, déjà condamné pour pédophilie, et qui avait figuré parmi les suspects, aurait fait des confidences avant de mourir.
Cet homme très malade n'a jamais été suspecté par la PJ, il est un des suspects "inventés" par les enquêteurs privés des MC.
Dans une lettre adressée à son fils juste avant de mourir, il affirmerait que la petite fille aurait été choisie sur photo, par les clients d’un « gang d’adoption illégale ». Une histoire plutôt biscornue, dans laquelle se sont engouffrés les détectives privés payés par le fonds de soutien créé par les McCann.
Le fils du reste n'a plus la fameuse lettre, il l'a perdue ou l'a brûlée... Et les tabloïds racontent sans sourciller.



Dans son exposé, Amaral charge les parents de l’enfant, mais on peut également s’interroger sur la manière dont cette enquête a démarré. Et notamment (mais c’est facile après coup) de la lenteur à mettre en place une alerte généralisée… Dans des circonstances identiques, aurions-nous, en France, déclenché le plan « Alerte enlèvement » ?

Sûrement pas ! La condition sine qua non est d'avoir vu l'enlèvement se produire, il faut bien faire un signalement et avoir au moins la couleur d'une voiture. Remarquer qu'aucun alerte- enlèvement n'a été déclenchée dans l'affaire Fiona, dans l'affaire Typhaine etc.

Pour tenter d’harmoniser les procédures, lorsqu’un tel événement se produit, un plan est à l’étude au niveau européen. Le mois dernier, un exercice a été effectué entre la France, la Grande-Bretagne et la Belgique à partir du scénario suivant : une fillette a été enlevée en Grande-Bretagne par un homme seul. Tout porte à croire qu’il a gagné la France avec sa victime, puis la Belgique. Le résultat a été mitigé : la collaboration entre les différents services est bonne, mais les moyens de communication devront être améliorés. La création d’un site extranet est envisagée.



Chez nous, lorsqu’il a été déclenché, ce plan a montré son efficacité. La principale difficulté réside dans la prise de décision : les critères sont-ils remplis pour lancer l’alerte ? Pour prendre un exemple, lors de la disparition du petit Antoine, en septembre 2008, le plan Alerte Enlèvement aurait-il dû être déclenché ? Avec le temps, on peut penser que oui, puisqu’on ne sait toujours pas ce qu’est devenu l’enfant…

Mais qui a vu cet enfant être enlevé ?

Il y a des affaires criminelles qui marquent plus que d’autres. La disparition de Maddie McCann est de celles-ci. Et, 26 ans plus tard, le mystère sur l’assassinat du petit Grégory Villemin est toujours bien ancré dans les esprits. Et il y en a d’autres qu’on oublie.